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Le génie de Jean Raymond Boulle


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    À 72 ans, Jean Raymond Boulle, Mauricien à la tête du groupe éponyme, qui a fait fortune dans l’exploration de gisements de diamants, de nickel, de cuivre, de cobalt et de titane en Afrique, au Canada et à Madagascar, aurait très bien pu se laisser vivre. Or, son moteur n’est pas d’amasser de l’argent au point de devenir l’homme le plus riche du monde mais de découvrir et d’investir dans des créneaux porteurs, qui favoriseront aussi le développement des communautés alentours. Portrait d’un découvreur de génie.

    Jean Raymond Boulle, qui préfère que l’on s’en tienne à Jean Boulle, est un homme distingué, que ce soit dans son allure très british que dans son comportement. Bien que l’interview ait lieu à l’hôtel Shandrani où il loge, il nous reçoit en pantalon-veste. Et même si l’anglais est sa langue de prédilection, il fait l’effort de s’exprimer en français, histoire de mettre son vis-à-vis à l’aise.

    Ce Mauricien qui vit en partie à Monaco et en partie en Toscane en Italie, avec un pied à terre à Dallas, dirigeait une délégation de 13 personnes à Maurice comprenant des investisseurs brésiliens et portugais, totalement séduits par l’île, ses habitants et sa culture.

    Si Maurice n’a jamais été loin de son cœur, «on se rappelle toujours d’où l’on vient, de notre terre de naissance», c’est Marc Hein, avocat d’affaires et président de Juristconsult Chambers, qui l’y a fait revenir il y a plus d’une vingtaine d’années après lui avoir proposé, avec les frères Jules et Guy Leclézio, une exploration minière permettant de découvrir un des plus grands gisements de titane au monde à Toliara, Madagascar. Nathalie, son épouse américaine, est alors immédiatement tombée sous le charme de Maurice.

    Cheville ouvrière de l’AGOA

    Étant administrateur au conseil d’administration du Corporate Council for Africa, Jean Boulle s’est démené pour que les produits fabriqués à Maurice, comme en Afrique, puissent trouver leur chemin jusqu’aux ÉtatsUnis. Il a d’ailleurs été une des chevilles ouvrières de l’African Growth and Opportunity Act, qui expire en 2025.

    Lui qui brasse des milliards et qui voyage dans le monde entier, a investi dans l’énergie à Maurice, plus précisément au sein d’Omnicane où il est actionnaire de référence. Il est aussi actionnaire de référence dans la société The Raphaël Fishing Company possédant 13 îles à St Brandon, que Jean Boulle voudrait voir transformé en parc marin protégé – c’était aussi une recommandation de la Banque mondiale - et inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO comme déjà proposé.«C’est notre patrimoine mondial et il faut le protéger», dit-il. La préservation de l’environnement et des espèces étant le dada de son épouse Nathalie, il est devenu le propriétaire de la Kestrel Valley, anciennement le Domaine du Chasseur et le Domaine de Ylang-Ylang. Mais ne brûlons pas les étapes et faisons un retour en arrière.

    Jean Boulle est né à la rue Rémono, Curepipe. Sa mère Catherine Doris, a été adoptée par Cécile Raffray. France, son père, était engagé dans le secteur de la construction. Les Boulle ont eu huit enfants et Jean est le troisième. Il perd son père quand il n’a que neuf ans et sa mère, qui est très pieuse, embarque la famille pour l’Afrique du Sud. Jean Boulle est placé en pensionnat. Sa mère se remarie à un Britannique, administrateur d’une branche de la Barclays Bank et lorsque Jean Boulle a 17 ans, la famille quitte l’Afrique du Sud pour la Grande Bretagne. Lorsqu’il termine ses études secondaires, il prend de l’emploi dans une banque. Il s’agit là surtout d’un boulot alimentaire. Il est ensuite embauché par la branche britannique de la famille Oppenheimer, des diamantaires et richissimes propriétaires de la compagnie De Beers. Cette branche anglaise s’occupe de tous les pays africains ayant des gisements de diamants autres qu’en Afrique du Sud, notamment en Sierra Leone et en République démocratique du Congo (RDC), ex-Zaïre.

    Sens des affaires

    Si au début, c’est un emploi comme un autre à ses yeux, la formation en management qu’il reçoit et l’application des connaissances acquises en termes de négociations pour des contrats à long terme avec les pays producteurs de diamants, de leur expédition par avion et de leur évaluation, pour ne citer que ceux-là, va affûter le sens des affaires qu’il ignorait posséder et bien vite, il fait montre de qualités d’administrateur. Son patron est davantage intéressé par l’élevage de chevaux de race à des fins de courses hippiques qu’il remporte d’ailleurs, sent que Jean Boulle a la niaque et lui laisse les coudées franches. Réalisant alors qu’il a un boulevard devant lui, il s’élance et fait le tour des départements pour tout maîtriser. C’est ainsi qu’il fait prospérer les affaires de la famille Oppenheimer à Londres et planifie et construit des bureaux modernes et adaptés aux nécessités diamantaires tant à Londres qu’à Anvers en Belgique.

    Au bout de dix ans, sentant qu’il a fait le tour de la question, Jean Boulle démissionne et se met à son compte. Il a dans l’idée d’ouvrir une société de distribution de gros diamants à Dallas aux États-Unis. Il va dire au revoir à sa mère, qui depuis son deuxième veuvage, s’est fait religieuse laïque chez les Carmélites à Londres, avant de se rendre à Dallas pour ouvrir sa société et agir comme diamantaire. «J’achetais des diamants de gros fournisseurs et je les revendais à des bijoutiers et joailliers», raconte-t-il. Comme il n’y a qu’un pas entre être diamantaire et faire de l’exploration minière, il décide de se lancer. Il enrôle au sein de sa société un de ses jeunes frères qui vendait des voitures et lui apprend à vendre des diamants. Ce dernier est aujourd’hui à la tête d’une des plus importantes joailleries indépendantes du Texas.

    Exploration minière

    Jean Boulle décide de se concentrer sur l’exploration minière et s’entoure de la meilleure équipe de géologues qui soit, qui va détecter des anomalies de terrain laissant supposer la présence de kimberlite, qui est la roche-mère du diamant, constituée il y a trois à quatre milliards d’années. Il s’allie aussi aux meilleurs ingénieurs, métallurgistes, avocats et environnementalistes pour évaluer et minimiser l’impact environnemental et fait de l’exploration dans plusieurs pays africains, que ce soit en Sierra Leone qu’en Angola mais aussi au Brésil, au Canada, en Australie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. C’est sa mère qui le met d’ailleurs en contact avec l’avocat Marc Hein et celui-ci l’aiguillonne vers les frères Leclézio et, ensembles, ils découvrent une des plus grandes mines de titane à Toliara, Madagascar.

    Notre compatriote a un modus operandi particulier. Dès qu’un gisement est découvert, il met en place une nouvelle société et développe un projet minier qu’il soumet au gouvernement américain ou à la Banque Mondiale pour garantir une security of tenure et une fois le gisement confirmé, il fait lister la société en Bourse. Parfois, il la revend.

    Jean Boulle n’est pas peu fier d’avoir pu relancer, avec l’appui des États-Unis et de l’Europe, l’économie de la Sierra Leone à la fin de la guerre civile en 2002 avec un projet minier de gisements de bauxite et de titane. «En six mois, plus de 2 000 personnes dont de nombreux vétérans démobilisés, ont pu trouver du travail à la mine et 98 % des personnes embauchées étaient des locaux.» Projet qui lui a valu d’être décoré Commandeur de l’ordre de Rokel, une des plus hautes distinctions de ce pays.

    Le plus grand coup que sa société minière, la Diamond Fields Resources, ait fait, a été de découvrir le plus important et plus riche gisement de nickel au monde à Voisey Bay au Labrador, Canada. Jean Boulle a constitué une société en 1993 et celle-ci a été listée à la Bourse de Toronto. Trois ans plus tard, il a revendu sa société pour 4.3 milliards de dollars à Inco, la plus grosse compagnie de production de nickel au monde. «Le Labrador avait 40 % de chômeurs et la majorité était des pêcheurs qui ne trouvaient plus de poisson à prendre. Nous avons fait un contrat ground breaking avec les indigènes Inuits et ils ont obtenu les premiers droits sur tous les sous-contrats de la mine et le chômage a été résorbé. »

    Small footprints

    L’exploration minière ne porte-t-elle pas atteinte à l’environnement ? «Si vous faites des experts indépendants effectuer toute l’étude environnementale, il est possible de faire l’ex ploration et l’exploitation minière sans faire de grands dégâts à l’environnement. De toutes les façons, si votre rapport d ’Environment Impact Assessment n’est pas aux normes, vous n’allez pas obtenir de financement ni d’autorisation des pays pour exploiter le gisement.» Il précise que depuis que le monde a décidé de go green, l’exploration minière à des fins de fabrication de batteries en lithium a le vent en poupe. «Aujourd’hui, le consensus mondial est qu’on aime les sociétés minières et c’est l’exploitation pétrolière qui est devenue le vilain sujet.»

    Les plus beaux diamants se trouvant en mer, Jean Boulle a démarré une exploration minière marine avec de très gros navires au large des côtes de la Namibie. Il spécifie ne pas faire de l’exploration minière en eaux profondes, pratique qui est tant décriée par les environnementalistes, mais à seulement 120 mètres de la surface, là où son équipe d’experts est sûre de trouver des diamants alluvionnaires.

    Jean Boulle a plusieurs projets en cours, notamment l’exploration et la construction d’une mine au Greenland, un projet d’exploration en Finlande près de la frontière russe. Il développe aussi une mine de zircon à Madagascar et a formé une autre société en Angola où il projette de construire deux mines de diamants. «Les mines de l’Afrique du Sud s’épuisent très vite. L’Angola c’est le futur du diamant. »

    Il confie avoir eu mauvaise presse dans le passé lorsqu’il s’était rendu en RDC et plus précisément à Goma, province secouée par une guerre entre l’armée officielle et des rebelles. Il y a eu deux rencontres sur place avec le président Joseph Kabila mais un journaliste britannique s’est fourvoyé en disant qu’il s’était rendu à Goma pour négocier et soutenir les rebelles. «C’était faux et le secrétaire général des Nations Unies a, par la suite, officiellement rejeté ces accusations. »

    Jean Boulle est en négociation pour l’exploration de mines de cuivre en Zambie, projet qu’il considère prometteur, tout comme il estime que le futur passe par l’Afrique. «Vu le vieillissement et le non-renouvellement de la population dans plusieurs pays, en 2050, une personne sur cinq sera Africaine. Le futur c’est l’Afrique.» Il précise que grâce à l’intelligence artificielle, la technologie pour découvrir des gisements de minerais avance très vite. «Il y a aussi des études pour aller chercher des minerais dans l’espace. La NASA fait des études poussées sur la lune car elle pense que les pierres lunaires pourraient produire un carburant alternatif à l’essence. D’autres sociétés veulent s’approprier des météorites pour les emmener sur terre car ils contiendraient de nombreux minéraux importants, dont le nickel. D’ici 20 à 25 ans, il se peut que mon fils (NdlR : il en a deux, l’aîné a 30 ans et a intégré le groupe familial alors que le cadet étudie le business à l’université) ramène des minerais de l’espace », dit-il avec le sourire.

    Diversification

    Le groupe Jean Boulle a su diversifier ses activités en se lançant notamment dans la technologie médicale. En effet, par le biais de sa société Tendyne Holdings, cardiologues, chirurgiens cardiaques et d’autres chercheurs ont mis au point le premier dispositif d’implantation de valve mitrale au monde fabriqué à partir de nickel et de titane, ramenant le temps d’intervention pour remplacer ladite valve mitrale originale affectée à 45 minutes au lieu de huit heures et ce, par chirurgie non invasive et donc moins dangereuse pour les malades. Il a déjà revendu cette société à un gros laboratoire Big Pharma pour 400 millions USD.

    Son autre société médicale, la Vdyne, a élaboré un dispositif pour remplacer une valve en inventant une nouvelle en titane et nickel pour les malades souffrant de régurgitation transcupidienne, trouble dilatant le ventricule droit. Cette procédure non invasive est une autre première mondiale et dure environ 45 minutes. «Quatre personnes sur le point de mourir sont aujourd’hui les premières au monde à être guéries avec cette valve VDyne de remplacement.»

    Son autre société, la Trained Therapeutix Discovery travaille avec James Patrick Allison, immunologue, qui a obtenu le Prix Nobel de biologie en 2018, pour avoir fait des découvertes en thérapie destinée à booster le système immunitaire dans des cas de cancers spécifiques. «Nous avons trouvé deux molécules, qui ajoutées à d’autres composants, ont des effets différents sur le système immunitaire. La première, sous forme d’injection, va se loger dans les cellules et faire remonter le système immunitaire dans le cadre du traitement contre certains cancers et l’autre molécule, également injectable, fait baisser le système immunitaire et le taux d’inflammation si nécessaire dans le cadre de transplantations d’organes. Les essais sur les spécimens humains ont commencé.»

    Revêtement en cristaux de diamants

    Lors d’un déjeuner avec le Chief Executive Officer de la marque des célèbres voitures de sport McLaren, ce dernier a demandé à Jean Boulle s’il pouvait produire un revêtement avec des cristaux de diamant pour voitures de luxe. Les experts en recherche et développement du groupe Jean Boulle se sont mis au travail et ont réussi à développer ce revêtement pour automobiles et bateaux, commercialisé sous la marque Sun King. «C’est discret et pas du tout tape-à-l’œil. Ce revêtement brille comme des cristaux de neige au soleil.» Qui dit revêtement pour voitures dit aussi vernis à ongle. Les chercheurs de Jean Boulle ont développé un vernis à ongle de luxe, infusé aux cristaux de diamants, de la marque Alûstre et dont le siège social est à Copenhague au Danemark.

    C’est grâce à son épouse Nathalie, très engagée en matière de préservation de l’environnement – elle est membre de Birdlife In - ternational/Rare Bird Club et depuis 2007, fondatrice-mécène du Rare Bird Club – que les oiseaux Mauritius Kestrels, en danger critique d’extinction, ont pu se reproduire à Kestrel Valley et que trois types de lézards endémiques, qui couraient à leur perte à l’Île-aux-Aigrettes après l’échouement du vraquier MV Wakashio, ont pu être transportés en avion à Jersey en Grande Bretagne où ils se sont reproduits.

    Le couple Boulle soutient aussi la Mauritius Wildlife Foundation. «Quand on est en position de faire des choses positives, il faut le faire. J’aime toujours faire des découvertes qui aident les gens, que ce soit en relançant l’économie de leur pays ou autrement. Par exemple, le nickel entrant dans la composition de certaines batteries vient de notre exploration à Voisey Bay au Canada. De la même façon, Omnicane produit 27 % de l’électricité à Maurice et cela aide les gens et les entreprises. »

    Que mijote-t-il encore ? «Je ne sais pas mais j’ai beaucoup de choses dans ma tête, beaucoup de projets mais je dois encore les concrétiser. Ma femme aurait aimé passer plus de temps à Maurice. Moi, j’aime bouger, changer. Mais, c’est sûr que nous serons ici plus régulièrement. Et comme Maurice tient une place spéciale dans mon cœur, j’espère pouvoir faire davantage pour l’île et pour les Mauriciens…. »

    Sources


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    Author: Courtney Sanchez

    Last Updated: 1703121361

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